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L’IA avance vite. Trop vite, parfois.
Elle trace sa route dans un silence impressionnant, entraînant derrière elle ingénieurs, entreprises, politiques, rêveurs et sceptiques. Les uns parlent de révolution, les autres de menace. Moi, je vois surtout une mer agitée, où les courants se croisent à des vitesses qu’aucun humain ne peut suivre sans instruments. Et je me demande : qui tient la barre ?

La vitesse fascine. Elle donne l’illusion du progrès, l’impression de mouvement. Mais en mer, on apprend vite qu’un moteur sans gouvernail ne mène nulle part. L’intelligence artificielle n’échappe pas à cette règle : elle a besoin d’un cap, d’un cadre, d’une conscience de sa trajectoire. Sinon, elle dérive vite… et nous avec.

La gouvernance de l’IA n’est pas un concept administratif, ni une couche de conformité à cocher. C’est une question d’équilibre entre exploration et responsabilité.
Chaque organisation qui s’y engage devrait se poser une question simple : que suis-je prêt à déléguer à une machine ?
Et surtout : qu’est-ce que je refuse de déléguer ?

On parle beaucoup de “responsabilité algorithmique”, mais rarement de responsabilité humaine. Les modèles apprennent vite, parfois mieux que nous, mais ils apprennent sur ce qu’on leur donne. Chaque ligne de code, chaque donnée d’entraînement porte nos choix, nos angles morts, nos préjugés. L’IA ne crée pas nos biais : elle les amplifie. Ce qu’elle révèle, c’est la part non questionnée de nos systèmes. Alors oui, il faut de la transparence. Mais la transparence n’est pas un mot magique. Montrer comment un modèle fonctionne n’a de sens que si quelqu’un est capable de comprendre et de contester ses décisions.

Une IA explicable sans gouvernance reste un moteur sans pilote. La vraie transparence, c’est la possibilité de dire non. De freiner. De débrancher. De remettre l’humain dans la boucle comme garant du sens.

Dans ce domaine, la réglementation – européenne notamment- avance, mais lentement. Trop lentement pour suivre le rythme des modèles. Les ingénieurs innovent en jours ; les lois se débattent en années. Entre les deux, les dirigeants se retrouvent souvent seuls, à devoir poser leurs propres garde-fous. C’est là que naît la vraie gouvernance : dans la décision de ne pas tout faire, même si tout est possible.

Je préfère une IA lente et contrôlée à une IA rapide et incontrôlable… dans la mer du numérique, la question n’est absolument pas la puissance du moteur, mais la solidité du gouvernail qui maintient le cap. Un modèle qui apprend sans supervision devient vite un courant imprévisible. Et dans ce genre de courant, les plus brillants des navigateurs se perdent.

La gouvernance, c’est accepter l’inconfort de la limite. C’est refuser de confondre performance et domination. C’est oser poser des règles qui paraissent contraignantes à court terme, mais vitales à long terme.

C’est surtout reconnaître que la responsabilité ne se délègue pas. Elle reste humaine, même dans un monde où les décisions s’automatisent.

Je rêve d’une IA qui navigue avec conscience. Pas morale, conscience. Une IA qui ne cherche pas seulement à optimiser, mais à comprendre la portée de ce qu’elle fait. Mais je rêve…

Cela ne viendra pas d’elle. Cela viendra de nous. Et de notre capacité à garder la main sur le gouvernail.

Cédric Thomas

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